top of page

Linda Sanchez, Incidents de Surface

 

Question de regard

 

Du 10 octobre 2014 au 31 janvier 2015, la Fondation Bullukian présentait Incidents de Surface, une exposition personnelle de l’artiste Linda Sanchez. Récompensée par le Prix Bullukian 2013 pour son projet De la goutte d’eau au ruissellement, poétique d’un cheminement, l’artiste, diplômée de l’École d’Art d’Annecy, montrait le fruit d’un an de travail au cours duquel elle a exploré son sujet. À travers des séries de dessins et de photographies, installation et vidéo, Linda Sanchez matérialise et fige les trajectoires de gouttes d’eau.

Au sein de l’espace d’exposition, l’œil curieux du visiteur observe, examine, et s’interroge sur la nature de ce qui lui est montré. Il déplace son regard sur les œuvres, les scrutant comme s’il était en présence d’un objet hors du commun. Le choix d’installation des œuvres dans l’espace de la Fondation suggère l’idée d’un parcours où le visiteur prendrait progressivement, œuvre après œuvre, conscience de ce qu’il regarde. Il finira par découvrir, au gré de sa déambulation, que c’est bien de cela qu’il s’agit, du commun. La goutte d’eau, élément du quotidien, est ici étudiée de près et de cette considération naît une fascination qui d’ordinaire est provoquée par l’étrangeté. Les œuvres de Linda Sanchez forcent à la contemplation, à l’observation minutieuse et fascinée d’un phénomène d’une banalité extraordinaire. Or c’est dans cette approche de la goutte d’eau que réside la grâce du travail de Linda Sanchez, qui rappelle que la beauté est une question de regard. En cristallisant les passages de ses gouttes, l’artiste crée une œuvre poétique dont chaque élément s’illustre comme la mémoire de ces passages, où se succèdent et s’entremêlent les temporalités, dans un dispositif qui recèle d’histoires potentielles.


Par son regard, elle nous démontre que du banal peut surgir le mystérieux, l’impromptu, le fascinant ; elle nous réintroduit au quotidien et nous le présente comme un terrain inexploré et riche en phénomènes invisibles pour les regards désenchantés. L’exposition résonne ainsi comme une invitation à offrir notre sensibilité aux choses les plus triviales et à se laisser surprendre par le commun, le connu.

À la manière du scientifique qui analyse son environnement, Linda Sanchez fait de la goutte d’eau son objet d’étude et c’est cette approche qui permet à l’artiste de captiver le regard du visiteur et lui faire entrevoir une autre manière d’appréhender ce qui lui est familier. En observant et soumettant des gouttes d’eau à diverses expériences afin de révéler leurs « comportements », l’artiste empreinte au domaine scientifique ses méthodes et outils. Ici, un dessin nous dévoile avec une rigoureuse précision la forme d’une goutte à différents moments de sa déambulation, là, des photographies nous montrent les trajectoires parcourues par les particules de poussières contenues dans une goutte au moment de son passage. La vidéo qui clôt l’exposition, et qui finit de donner sens au tire de l’exposition, nous fait suivre une goutte filmée sur une plaque tournante parsemée d’éléments qui incarneront pour cette goutte des obstacles, des sources d’approvisionnement, des rencontres inattendues. Si les directions, accélérations et arrêts, effectués par la goutte ne sont dus qu’à des causes qui lui sont extérieures (vent, gravité, sens de rotation et accidents de surface), la réalisation de ce film comme celle des autres œuvres de l’exposition, joue avec l’esprit du visiteur en lui donnant l’impression d’observer un corps vivant ; on pense assez vite au pneu de Quentin Dupieux qui dans Rubber prend vie et découvre avec un instinct meurtrier le monde qui l’entoure. Les deux artistes ont en partage un regard qui érige des éléments du quotidien en protagonistes insoupçonnés de récits singuliers.

C’est ce rapport sensible et esthétique au quotidien qui semble conduire la pratique artistique de Linda Sanchez. À la fois objectif et subjectif, son travail donne une place central au regard et donne naissance à une œuvre où réalité et fantastique cohabitent.

 

bottom of page