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Minhee Kim
Vit et travaille à Nantes

Sur quelle pièce travaillez-vous en ce moment ?
Sur un livre que j'avais réalisé une première fois lors de ma résidence en 2014 à La Calypso. Pour cette co-résidence à Permis de construire (1) avec les membres de La Calypso j'ai décidé de le retravailler.
Cette résidence est une sorte de reboot de celle que j'avais faite. Je voulais donc refaire ce bouquin, parce que tel qu'il a été fait la première fois, il y avait des calques et ça ne fonctionnait pas, or je voulais que l'image soit vraiment séparée. Alors je me suis dit que c'était une bonne occasion de reprendre ce qui avait déjà été fait et qui ne m'avait alors pas convaincu à 100%. Donc, j'ai repris les pages en papier calque rhodoïde qui sont au milieu, que j'ai remplacé par des pages blanches.
Le principe de ce livre est que j'ai pris de L'Odyssée, la partie où Ulysse arrive sur l'île de Calypso. Il y est bien accueilli, et un jour Hermès vient voir Calypso pour lui dire qu'il est temps de libérer Ulysse parce que ça fait déjà dix ans qu'il est là-bas et que ce n'est pas sa destinée que de passer sa vie sur cette île. J'ai repris la partie où Hermès arrive, celle de la description de la grotte de Calypso, qu'on peut lire, mais les textes se confondent avec les images. Pour chaque partie, il y a une image dans chaque page du rhodoïde qui est constituée par frappage. Une par exemple, est une photo que j'ai prise avec mon téléphone portable lors de la résidence au 4 Avenue de la Calypso et la dernière, une peinture qui représente une vision imaginaire de l'île de Calypso dans la peinture classique. C'est ce que j'explique dans les rabats du livre, on a une image constituée de deux images, une qui montre ce qui se passe sur l'île de Calypso et une autre ce qui se passe à la résidence de la Calypso. C'est pour ça que le livre s'appelle Mémoires à la Calypso, parce que je ne voulais pas que Calypso fasse référence à une personne parce que pour moi Calypso c'est aussi un lieu. L'idée m'est venue parce que d'abord j'ai été intriguée par le nom de la résidence et ensuite parce que cet épisode de L'Odyssée ressemblait beaucoup à ma propre expérience à la Calypso. Je voulais donc qu'il y ait une sorte de superposition, que ça fonctionne comme un palimpseste, que les couches fusionnent pour que la lecture ne soit pas simple dans un sens ou dans l'autre, entre l'histoire d'Ulysse écrite par Homère, les peintures représentant ce passage de l'histoire d'Ulysse et mon histoire personnelle à la Calypso, à travers les photos qui sont liées à mon séjour sur place. Par ce système de couches, voir et comprendre les différentes strates de lectures demande un peu de travail, il faut soulever un calque pour voir plus distinctement une image, ou celle qui est en dessous, ou alors pour tenter de lire le texte. Par différentes techniques, il y a certaines choses qu'on verra mieux que d'autres, et d'autres pas forcément.
L'histoire du livre est divisée en six parties : l’arrivée à la Calypso, la grotte/les rideaux de la résidence ; Ulysse se souciant de sa famille/Lou fumant une clope ; Calypso préparant le radeau d’Ulysse/ vue depuis la résidence ; derniers moments de tendresse entre Calypso et Ulysse/Baptiste et son ordinateur ; le bateau d’Ulysse, le départ/le tramway de Nantes.

Comment choisissez-vous les médiums artistiques que vous utilisez ?
Ça dépend des projets. Il y a deux choses : est-ce que tel médium peut répondre à ce que j’ai envie de raconter et la question de la contrainte financière. J’aime bien les petits formats, les éditions, parce qu’ils répondent bien à cette question de contrainte financière, mais de stockage aussi. Là, je voulais mettre en parallèle et faire fusionner les deux histoires, deux temps de résidence, de passage dans un lieu détaché du monde au niveau temporel mais aussi géographiquement. Je voudrais aussi faire une installation à partir du contenu du livre. Je vais choisir des pages, les imprimer en taille d’affiche et les suspendre pour qu’on puisse déambuler autour, mais en gardant les pages blanches devant et derrière. Je ne sais pas encore si elles seront imprimées sur du papier calque, ça va dépendre du budget notamment, mais aussi du rendu. Je pensais aussi peut-être avoir des jeux de lumière devant et derrière. On verra.

Comment passez-vous de l'idée d'une pièce à sa réalisation ?
Je me pose beaucoup de questions que je laisse mijoter parce que je ne sais pas instinctivement ce que je veux. Il me faut beaucoup de temps avant qu’une idée devienne convaincante déjà pour moi. Parce que si ça ne me convainc pas j’aurais du mal à en parler aux autres. Mais c’est aussi bien d’en discuter avec les autres, d’être à plusieurs pour bosser parce que quand je suis toute seule avec mes questions je n’avance pas forcément. Mon rythme, c’est que j’ai un long moment de préparation avant de savoir ce que je veux et finalement le moment de production plastique peut durer très peu de temps. Au final, le fait d’être plusieurs, va rallonger ce petit moment de production parce qu’il va empiéter sur toute la préparation antérieure faite de questions et d’échanges. Il y a donc une sorte d’inversement de mon schéma de travail. Quand je suis toute seule, je mets trop de temps à savoir ce que je veux, donc ça me fait du bien de partager un atelier ; et puis le fait d’avoir une date butoir joue aussi.
Sinon, il n’y a pas vraiment de moment de passage à l’acte parce qu’entre le moment où j’ai l’idée, où elle se développe et devient le noyau de ce que je produis, ce processus là est déjà un moment de production. Il n’y a pas de réelle scission entre les deux.  

Qu'attendez-vous de la pièce sur laquelle vous travaillez actuellement ?
J’ai tendance à vouloir tout expliquer, comme ici dans le livre de la Calypso où tout est expliqué à la fin, pourquoi j’ai choisi telle image etc. Et en même temps, j’attache beaucoup d’importance à la subjectivité et aux interprétations multiples qui peuvent êtres faites d’une même proposition.  

À quoi pensez-vous quand vous travaillez ?
Quand c’est un travail manuel, j’écoute souvent la radio. Je me mets en mode ‘machine’. Sinon je me concentre sur ce qui se passe devant moi. Je n’ai pas de cerveau en multifonction on dirait…

Pensez-vous à l'installation de vos œuvres dans un espace d'exposition quand vous les réalisez ? Si oui, comment cette réflexion influence t-elle votre processus de création ?
Oui et non. La question se pose ici, mais le projet n’est pas directement rattaché au lieu, il lui précède. Mais comme il va y avoir sept installations, je me demande quand même comment je vais montrer le livre. Parce que je veux que le livre et l’installation communiquent. Comme l’installation est une partie du livre, un extrait,  je ne veux pas qu’elle soit posée ailleurs. Ce n’est pas encore très clair ; j’ai posé la question hier et ça commence à mijoter. Comment faire que les deux cohabitent sans que l’un prenne le dessus sur l’autre...
Après, plusieurs de mes travaux ont été pensé à partir, pour et en fonction du lieu dans lequel ils ont été montrés. J’ai par exemple fait une résidence dans le lycée Aristide Briand à Saint-Nazaire, avec quatre autres artistes, et on intervenait chacun à notre tour tout au long de l’année. J’avais une semaine dans une salle de cours d’arts plastiques, j’installais des choses et les lycéens intervenaient sur ce que j’avais installé, dans un jeu de questions/réponses. Le thème c’était 50%, donc j’ai divisé l’espace de la salle en deux, de manière horizontale avec une toile de papier séparant le haut et le bas. Les plus petits pouvaient passer sans problème alors que les plus grands devaient se pencher pour entrer dans la salle et l’arpenter. C’était une manière de répondre au thème. Ce qui m’a beaucoup plu c’est que la porte dépassait la séparation et on pouvait vraiment voir en même temps les deux côtés de l’espace séparé. Au début, je voulais que ce soit une toile tendue, mais je ne pouvais pas percer ni même mettre de scotch, alors j’ai utilisé du papier kraft et une colle à papier peint. Ça a été difficile de répondre au thème avec ces contraintes mais au final je n’étais pas mécontente. Et comme je disais tout à l’heure, le choix du médium vient aussi en fonction des contraintes, financières, du lieu etc. Finalement, les lycéens ont aimé que ce soit en papier et ils l’ont récupéré pour en faire d'autres choses. C’est différent de ce que je vais faire à Permis de Construire, que j’aurais fait de la même manière si j’avais été dans un autre lieu. La seule question qui se pose c’est comment je vais montrer le livre et les impressions. Tout va se décider sur le coup et avec les autres (exposants).

Quand décidez-vous, comment savez-vous qu'une œuvre est aboutie ? Qu'est-ce qui vous fait dire qu'une pièce est réussie ?
Quand j’ai l'idée de quelque chose que j’ai envie de réaliser, il y a des critères auxquels je veux que cette chose réponde. Une fois qu’elle a répondu à toutes ces questions, je me dis que je n’ai pas besoin d’en faire plus, pour ne pas perturber l’idée initiale. Mais bien sûr, ces questions là sont toujours en mouvement, ça s’ajoute, ça s’enlève...Je m’arrête au moment où je trouve que ça répond à mes attentes. J’essaie de me détacher plus de l’esthétique tout en sachant qu’on ne peut pas y échapper. Ce n’est pas pour rien qu’on s’appelle plasticiens, mais en même temps j’ai envie que les deux se marient, que le plastique réponde à des questions que je pose. C’est l’envie de tous les artistes. Mais c’est difficile comme question parce que quand on fait une œuvre qui retrace un cheminement, qu'on s’arrête, est-ce que ça marque la fin du cheminement ? C’est aussi pour ça que j’aime piocher dans ce qui vient en amont, dans la préparation, pour dire que ce n’est pas un arrêt final de cette recherche, mais que ça fait partie des nombreux stades du parcours de la réflexion.
Savoir si une œuvre est réussie, c’est une question que je me pose beaucoup en tant que médiatrice. C’est intéressant ce rôle d’amener le public à interpréter les œuvres et je me demande si leur expliquer ce qui a été dit en amont par l’artiste est vraiment utile. En tant qu’artiste, parfois, comme je disais, pour certaines œuvres je veux tout expliquer et pour d’autres je préfère laisser le public avoir sa propre compréhension.

Quelle expérience cherchez-vous à partager avec les visiteurs qui découvrent votre travail ?
Ça dépend des projets. À un moment je posais beaucoup de questions sur ce qui se partage sur place et ce qui reste dans la mémoire de l’expérience vécue ensemble. J’avais fait une installation basée sur un questionnaire qui avait pour objectif de mettre en lumière les souvenirs qu’un groupe de personnes avait d’un séminaire auquel ils ont tous assisté. À partir des réponses à ce questionnaire, j’ai réalisé des graphiques que j’ai ensuite matérialisé en une installation. L’installation était aussi accompagnée de livres présentés en coffret avec lesquels les visiteurs pouvaient repartir, et dont les contenus varient en fonction de l’attention des participants. Je ne voulais pas que les visiteurs voient juste les graphiques mais qu’ils puissent aussi comprendre le procédé et savoir ce qui avait été dit à tel ou tel moment. L’idée était de retranscrire à travers cette installation, un espace-temps partagé ensemble, qu’on puisse revoir, et comment chaque personne avait vécu ce moment.
Pour le flipbook que j’ai réalisé à partir de photos prises avec mon téléphone suite à un séjour à New-York, je m’interrogeais sur comment rendre intéressant aux yeux des autres des instants de vie privé. C’était une manière de distinguer et de combiner en quoi c’est intéressant pour moi et pourquoi et comment ça peut interpeller les autres.

(1) Résidence d'artistes, Permis de construire, Nantes - Restitution 13 juillet 2016

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